[V1738] Russie impériale

Géant de givre, la Russie est une puissance émergente à l'heure de la troisième décennie du dix-huitième siècle. Vingt ans auparavant, les armées du Tsar Pierre le Grand triomphèrent des Suédois menés par Karolus Rex à l'issue d'une lutte acharnée mobilisant des ressources humaines et matérielles considérables, gravant dans le marbre une gloire impérissable.

À peine sur le trône, l'Impératrice Anna instaura au mois de mars 1730 une chancellerie secrète remplaçant le "Prikaze Preobajenski" supprimé sous le règne de Pierre II. D'après les racontars, les chefs de cette police secrète associent cruauté sanguinaire et vernis mondain. Mais ce ne sont que des racontars, bien évidemment. Transférée à St-Pétersbourg (devenue en 1732 la capitale définitive de l'Empire !), cette chancellerie compte à peu près deux secrétaires et une vingtaine de fonctionnaires. Bien que peu nombreuse, elle réalise un travail considérable : plus de vingt mille personnes sont déportées en Sibérie et les exécutions sont légion. L'espionnage est désormais le service d'état le mieux financé et le plus encouragé comme le prouva l'affaire Artémi Volynski, dignitaire russe tombé en disgrâce.

La répression frappe en Russie tous ceux qui projettent de limiter l'absolutisme. Ce grand projet autocratique s'accompagne néanmoins d'une satisfaction de quelques revendications nobiliaires telles que l'abolition de la loi de Pierre le Grand sur l'héritage, laquelle octroyant au père de famille le droit quasi-indiscutable de léguer ses biens à la personne de son choix. La nouvelle loi exige que l'immobiliser soit partagé « également entre tous » mais surtout, elle supprime toute différence entre la « votchina » (domaine héréditaire) et le « pomiestié » (terre concédée en échange du service et pour le temps de ce service). Le pomiestié devient ainsi propriété privée héréditaire du « chliakhetstvo ».

Un Oukase (décret) dicté en 1736 postule également que la durée du service militaire ne sera plus perpétuelle, mais fixée à une durée égale à vingt-ans. En outre, un père de famille possède désormais le droit de garder un de ses fils à la maison pour administrer ses bien, à condition qu'il sache lire et écrire. L'importance de cette mesure est considérable : le service de l'Etat n'est plus la seule carrière possible pour un noble, favorisant la naissance d'une nouvelle couche de propriétaires terriens, indépendante du service impérial. En effet, la possibilité de quitter le service au bout de vingt-cinq ans permet aux nobles, qui commencent à servir à l'âge de vingt-cinq ans, de regagner leurs domaines à la fleur de l'âge.

Une acte d'une importance équivalente témoigne de l'intérêt que porte l'Impératrice au chliakhetstvo. Les Russes perçoivent désormais une solde égale à celle des étrangers, nettement mieux payés jusqu'alors. Cette somme sera néanmoins très rarement versée, puisque la Cour dépense à tour de bras. Les caisses sont au plus bas car le trésor est littéralement pillé par les favoris, et la politique extérieure coûte cher.

La transformation du chliakhetstvo en couche privilégiée implique un asservissement de la paysannerie. L'élargissement des droits des propriétaires s'effectue au détriment de ceux des serfs, réduits à l'état de quasi-esclavage, l'Impératrice Anna ayant grandement contribué à ce processus d'asservissement en imposant aux propriétaires fonciers des tâches fiscales, et en les autorisant à prélever sur leurs serfs un impôt de capitation. Le renforcement du servage et deux années de récoltes catastrophiques (de 1734 à 1736) ont jeté les routes des hordes de mendiants et de vagabonds. La fuite des serfs a pris une telle proportion qu'un décret impérial daté de l'année 1736 donnent aux propriétaires le droit de châtier les serfs comme ils l'entendent. En conséquence, mendiants et vagabonds constituent des bandes qui sillonnent le pays, faisant et exécutant la loi dans des régions de tout temps dangereuses - les rives de la Volga et de l'Oka -, et se multiplient jusqu'aux abords de la capitale. Des détachements de soldats décimeront alors les forêts bordant la route qui joint Moscou et Saint-Pétersbourg. Les hasards de l'histoire voulurent que l'abolition des droits de la majorité soient imposée par des femmes.

Enfin, il est intéressant de relater que le gouvernement d'Anna ne s'embarrasse nullement des questions sur l'attitude à adopter envers les réformes de Pierre le Grand. Ne formant ni le projet de les poursuivre ou de les contrer, Anna et ses serviteurs se laissent guider par les besoins du moment et agissent au gré des circonstances et de l'inspiration ou selon leurs intérêts personnels...